Carême 2020

Méditation de l’abbesse du monastère Sainte-Claire de Ronchamp

Qui eût pensé qu’un temps de carême

où l’on prône à tous vents un changement de vie radical,

un séjour au désert privé de toute sécurité,

une vie de sobriété, une vie intérieure basée sur le jeûne, la prière, le partage…

un temps où se pratiquent des valeurs essentielles

trop souvent dévorées par le temps, la vitesse, la multiplicité de voyages et d’activités

tuant parfois la vie familiale et la gratuité dans une course effrénée,

la course à l’argent, au prestige, au pouvoir…

Qui eût pensé que tout cela, un jour, brutalement, serait mis en acte

comme en un grand carême mondial, universel, inéluctable,

révélateur d’un besoin urgent dont on ne soupçonnait pas le prix et la venue,

comme une épreuve initiatique s’imposant à tous,

questionnant notre liberté ?

Il a suffi qu’un virus inconnu s’introduise en Chine,

d’abord caché, bientôt connu, étudié, identifié, nommé coronavirus,

semant la mort ou ses dangers, se répande très vite

par des porteurs infectés ayant essaimé sur tous les continents…

La mondialisation est là, sous nos yeux,

et pour quels effets ?

Afin de juguler la contamination,

voici des villes entières en quarantaine, dont les rues sont désertes, en silence de plomb.

Voici des industries à l’arrêt, privées de transactions.

Voici interdits tous rassemblements importants de sport, d’art ou de commerce.

Voici désertés les hôtels de luxe où n’arrive plus la clientèle qui roule sur l’or.

Les écoles fermées, les stations délaissées,

les familles en confinement (huis clos éprouvant !)

Les rassemblements religieux eux aussi supprimés.

Les hôpitaux sont bondés, les services d’urgence saturés.

La panique est à bord dans les géants des mers : bateaux de croisière devenus prisons,

sans escale possible… rejet devant le danger !

Pauvres et riches sont à la même enseigne dans leur fragilité,

leur condition humaine si vulnérable,

dont ils n’avaient jamais autant pris conscience, que ces jours-ci…

Cette privation soudaine de toutes relations,

de liberté, d’espoir de vivre ou de s’éclater, est-elle possible, est-elle vivable ?

A quoi nous mène-t-elle ? A-t-elle un sens ?

Il y a de quoi se poser la question !

Les chercheurs se mobilisent pour trouver un vaccin…

Médecins et soignants se donnent sans compter

pour que le souffle ne vienne à manquer en de nombreux patients.

Les politiques s’affairent pour gérer la crise, préserver les populations,

relancer l’économie dont les cours en bourse s’effondrent.

Partage, solidarité, responsabilité, sont les maîtres-mots

de cette entraide généreuse pour la vie.

Le jeûne de tout ce qui nous tient à cœur et nous disperse

va-t-il nous aider à retrouver l’essentiel de nos vies ?

Gigantesque taille de l’arbre, élagage de toute branche morte,

élimination de tous les gourmands, de tous les troncs pourris,

au profit de rejetons qui sont là, bien vivants, presque inaperçus,

Ils existent pourtant !

Que va-t-il nous rester de ce qui nous manque,

ce dont, peut-être, nous n’aurons plus besoin ?

Et la prière, en tout cela ?

On n’en parle sans doute pas beaucoup,

mais la relation à Dieu, pour soi et pour les autres,

est une réalité qui se révèle capitale.

L’Esprit est là, toujours, au fond des cœurs

qui se relient à son mouvement plus rapide que la lumière

et nous propulse en avant.

Même si les églises sont fermées, il reste en chacun

la chambre intérieure et secrète où Dieu se tient présent,

la communion dans l’invisible,

le soutien spirituel qui est promesse de vie,

de vie présente et éternelle.

Jésus est parmi nous, dans la tempête et au-delà,

guidant l’humanité vers de nouveaux rivages.

C’est la Pâque du Seigneur et de son peuple

appelé à ressusciter.

10 mars 2020